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29 juillet 2010 4 29 /07 /juillet /2010 09:05

Voici le dixième et dernier volet de ma série "L'Incipit du jeudi". J'aurai pu continuer ainsi pendant des mois. Je n'en vois pas l'intérêt. Ce blog est un terrain d'expérimentations, les idées se bousculent, voient le jour et s'éclipsent. A présent, j'ai d'autres projets. Dès la rentrée une nouvelle rubrique viendra remplacer celle-ci. Tout ce que je peux dire, pour l'instant, c'est qu'elle plaira aux amoureux des livres... Bonne lecture.
Mademoiselle

" La brume restait accrochée aux bosquets qui défilaient le long de la voie. J'effaçai un peu de buée sur la vitre. Les premières maisons apparurent. Le train ralentissait déjà. Mon coeur se mit à battre, m'arrachant à la somnolence où m'avait plongée le rythme monotone des essieux. Refermé sur ses secrets, le village se dessinait dans le creux du vallon.
Le crissement des roues, comme une plainte montant du sol, déchira le silence. Il était trop tard pour revenir en arrière. Les murs gris de la gare s'inscrivirent dans le cadre de la fenêtre tandis que la voix du controleur annonçait trois minutes d'arrêt.
J'aurai pu rester là assise, sans bouger. Le quai était désert. On n'entendait plus que la respiration rauque de la locomotive, comme une bête rongeant son frein, pressée de repartir.
D'un mouvement brusque, je pris mon sac. A peine avais-je le pied sur le bitume que le train redémarrait et disparissait dans le brouillard.
Je suivis la rue qui descendait en pente douce vers la grand-place, guidée par les tuiles sombres de la pointe du clocher qui dépassait des toits.
Il m'avait dit :
- Vous ne pouvez pas vous tromper, il n'y a qu'une maison en face de l'église, c'est là.
Trouant le murs de parpaings aux parements bistre, les vieilles dentelles blanches des rideaux laissaient entrevoir des yeux posés sur moi.
Je frappai à la porte. J'entendis des pas, un bruit de clef ; au bout de quelques instants, il fut là, immobile dans la pénombre du vestibule.
- Ne restez pas dehors, il gèle.
Comme, je l'avais imaginé en entendant sa voix au téléphone, il était devenu un autre homme. Je cherchais dans ma mémoire des images de lui. Enfant, chaque semaine, je dessinais sur de grandes feuilles de papier des châteaux, des chemins, des rêves et des cauchemars, pendant qu'il tirait longuement sur sa pipe en me regardant.
Depuis dix ans, il ne voulait plus voir personne. Ses patients avaient-ils eu raison de son désir d'écoute ? Des rumeurs avaient circulé à l'époque : un accident cérébral aurait altéré sa faculté de parole, l'obligeant à interrompre son séminaire, à abandonner la foule de ses disciples, pour se retrancher dans la solitude. Il partit, laissant tout derrière lui, et se retira dans ce lieu qui lui ressemblait si peu.
Aujourd'hui, à nouveau, j'étais face à lui. J'avais envie de pleurer, de me blottir dans ses bras, mais je ne bougeai pas. 
Il prit mon sac, le déposa sur une banquette, suspendit mon manteau à côté d'un miroir biseauté. Je le suivis dans la cuisine. Deux assiettes et une soupière avaient été disposées sur une table recouverte d'une nappe en toile cirée à carreaux rouge et blanc. Il m'invita à m'asseoir.
Il souleva le couvercle et nous servit. Ses mouvements étaient réguliers et calmes ; fermé, silencieux, il semblait attendre que je parle. J'étais dans cette maison pour cela, il le savait. Il me connaissait mieux que personne.
Mais les mots ne venaient pas. Je me calai sur son rythme, en silence. Je finis par murmurer son prénom :
- Roland...
-Oui, me répondit-il en plongeant ses immenses yeux verts au fond des miens.
Dix ans. Dix longues années d'absence. Les seules nouvelles, je les apprenais par les livres qui lui étaient consacrés. Il était devenu une figure majjeure de psychanalyse mais pour moi, c'était différent : il restait celui que je voyais tous les jeudis matin, à la sortie de l'école.
Un jour, javais interrogé ma mère :
- Pourquoi Roland s'occupe-t-il de moi ?
- Parce qu'il t'a vu naître.  
Le fil de nos conversation, nos rendez-vous hebdomadaires ne s'étaient interrompus qu'avec son départ. Quelque temps auparavant, il m'avait demandé de ne plus l'appeler.
Je me revois sortir de son bureau, retenant mes larmes, traverser la place de l'Alma, et sangloter au bord de la Seine sous une pluie battante.
Cette nuit-là, je rêvai que, ne parvenant plus à me souvenir de mon nom, je cherchais mon passeport, mais il avait disparu." 

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Le-Chemin-des-sortileges[1]

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22 juillet 2010 4 22 /07 /juillet /2010 07:09

J'aimerai savoir jouer d'un instrument. Ce n'est pas le cas et bien qu'il ne soit jamais trop tard, le temps me manque aujourd'hui pour me plonger dans l'étude du solfège. Il est ici question d'histoires familiales, de secrets enfouis et de Stradivari. Une douce mélodie se dégage de ce livre où la description du corps à corps entre l'homme et son instrument prend tout son sens.
Mademoiselle 

" Le son profond d'un violoncelle s'élevait au dessus d'une allée du cimetière, dans le ciel glacé de l'hiver lorrain.
Thomas enterrait sa mère.
Derrière lui, la famille paternelle dessinait un décor sombre et compact. Près du prêtre et du cercueil en chêne, Joséphine, la bonne, que tous appelaient Nanie sanglotait doucement. Elle tenait à la main un grand mouchoir à carreaux, dont elle usait mécaniquement. Auprès d'elle, une petite fille levait de temps en temps la tête vers le visage en larmes de la vieille femme.
Derrière le trou béant, Simon, dans un manteau gris râpé, était assis sur un petit tabouret, les mains en partie enveloppées de laine à cause du gel. Il jouait des extraits de morceaux que Delphine lui avait appris autrefois, quand elle lui donnait gratuitement des leçons. Ases pieds il y avait deux boîtes en bois.
Il alternaient soigneusement les deux violoncelles, comme si c'était important. Les personnalités parisiennes, mêlées aux domestiques, aux paysans du Manoir et aux gens du village, écoutaient religieusement. Le dfroid crispait le bois et chaque fois qu'il changeait d'instrument, il passait de longues minutes à l'accorder.
Lorsqu'il entendit les premières mesures d'une berceuse de Fauré, Thomas tressaillit. Le parfum de sa mère se dressa devant lui, comme un  voile éphémère. Enfant, il embrassait en une même image ses bras souples en mouvement, son long visage pâle, son buste mince, étrangement solide. Il attendait qu'elle amenât vers lui d'un geste sûr la phrase musicale, fermait les yeux, imaginait qu'il prenait la place de l'instrument au creux du corps de sa mère. Pui elle jouait cette berceuse de Fauré et alors, il savait qu'elle allait le laisser, l'abandonner à la nuit.
Le regard acéré de Thomas s'attarda sur le dos fin, le profil osseux, la courbe presque féminine du cou de son frère de lait. Il observa le buste interminable de Simon faire écrin à l'instrument. Chaque note prolongeait le temps de Delphine, allongée maintenant dans un lit de bois.
Thomas n'entendit bientôt plus que le son des violoncelles. Les instruments avaient toujours fait partie de sa vie. Le Vuillaume à terre était le cadeau que son père avait fait à sa mère. Il n'avait pas, à l'époque, la valeur démesurée qu'il avait atteinte depuis. L'autre, dont Thomas soupesait à l'instant la sonorité, intacte malgré le froid et le vent avait été fabriqué par son grand-père en 1929. Dans les cuisines de son enfance, il avait appris par les conversations entre domestiques que cette années-là était aussi celle du suicide de son grand-père.
Sa mère n'en parla jamais. La lignée paternelle non plus.
Thomas petit, fut longtemps assailli d'émotions contradictoires, la peur, la honte, l'attrait irrésistible vers le violoncelle, le bonheur de la musique et de sa mère réunies, mais ces émotions furent balayées part le devoir d'être un jour l'héritier du Manoir.
Alors, il s'était tu lui aussi."

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arton11882[1]

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15 juillet 2010 4 15 /07 /juillet /2010 10:00

Il est des livres étranges, écrits par des auteurs réputés. Des idées si sombres et insolites qu'on se demande où ils vont les chercher. Bonne lecture.
Mademoiselle

"Quand mes filles eurent atteint l'âge de douze ans, je les initiai aux mystérieux pouvoirs. Non pas tant, mystérieux, parce qu'elle en ignoraient l'existence, que je leur avais dissimulés (avec elles, je ne me cachais de rien puisque nous étions de même sexe), mais plutôt que, ayant grandi dans la connaissance vague et indifférente de cette réalité, elles ne comprenaient pas plus la nécessité de s'en souvier ni d'avoir, tout d'un coup, à la maîtriser d'une quelconque façon, qu'elles ne voyaient l'intérêt pour elles d'apprendre à confectionner les plats que je leur servais et qui relevaient d'un domaine tout aussi lointain et peu palpitant. Elles ne songèrent pourtant pas à se rebeller contre cet ennuyeux enseignement. Elles ne tentèrent même pas certains après-midi ensoleillée, d'y couper sous quelques prétexte. Je me plaisais à croire que, cette doicilité chez mes filles peu dociles, mes jumelles fulminantes et impulsives, je la devais à la conscience qu'elles avaient peut-être, malgré tout, là, d'une obligation sacrée.
Nous nous installions à l'abri des regards de leur père, au sous-sol. Dans cette grande pièce froide et basse, aux murs de parpaings, fierté de mon mari pour son inutilité même (vieux pots de peinture dans un coin, c'était tout), je tâchais de leur transmettre l'indispensable mais imparfaite puissance dont étaient dotées depuis toujours les femmes de ma lignée. Les jours d'été, les cris et les rires des petits voisis nous parvenaient de leur pelouse toute proche, la lumière tombant du soupirail en rais obliques, sur le ciment où nous étions assises semblaient s'évertuer à vouloir tirer Maud et Lise d'une application dont elles ne pouvaient compendre le but, et elles s'acharnaient cependant, sourcils obstinément froncés, leurs petits visages, semblablement studieux et butés dans l'effort, tendus vers moi avec un touchant désir de venir à bout de l'énigme, une patience confiante certaines qu'elles étaient, depuis leur très jeune âge, que leur tour viendrait de posséder mes dons, certaines et s'en moquant."

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9782707318107[1]

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8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 07:00

Oubliez vos préjugés, oui, oubliez tout ce que vous avez lu ou entendu sur cet auteur, s'il y a bien un roman de lui que vous devez lire c'est à mon avis celui-ci. Bonne lecture.
Mademoiselle

"Jonathan,
T'appelles-tu toujours ainsi ? Je réalise aujourd'hui qu'il y a tellement de choses que je ne savais pas et je repousse sans cesse les mesures de ce vide qui m'entoure depuis que tu es parti. Souvent lorsque la solitude obscurcissait mes journées je regardais le ciel, puis la terre, avec cette farouche impression que tu étais là quelque part. Et il en fut ainsi au cours de toute ces années, seulement nous ne pouvions plus nous voir, ni nous entendre.
Il paraît que nous pourrions passer l'un à côté de l'autre sans même nous reconnaître.
Je n'ai cessé de lire depuis le jour de ton départ, visité tant de lieux à ta recherche, à celle d'un moyen de comprendre, d'un quelconque savoir. Et plus les pages de la vie se tournaient, plus je réalisais que la connaissance s'éloignait de moi, comme dans ces cauchemars ou chaque pas en avant vous fait reculer d'autant.
J'ai arpenté les galeries sans fin des grandes bibliothèques, les rues de cette ville qui fut la nôtre, celle où nous partagions presque tous nos souvenirs depuis l'enfance. Hier, j'ai marché le long des quais, sur les pavés du marché à ciel ouvert que tu aimais tant. Je me suis arrêté par-ci par-là, il me semblait que tu m'accompagnais, et puis je suis revenu dans ce petit bar près du port, comme chaque vendredi. Te souviendras-tu ? Nous nous y retrouvions si souvent à la tombée du jour. Nous jouions à entraîner l'autre dans les dérives des mots qui jaillissaient de nos bouches comme autant de passions que nous vivions ensemble. Et nous parlions sans compter les heures de ces tableaux qui animaient nos vies et nous transportaient vers d'autres temps.
Dieu, que nous avons aimé la peinture toi et moi ! Je parcours souvent les livres que tu écrivais, j'y retrouve ta plume, tes goûts.
Jonathan, je ne sais pas où tu es. Je ne sais si tout ce que nous avons vécu avait un sens, si la vérité existe, mais si tu trouves ce petit mot un jour, alors tu sauras que j'ai tenu ma promesse, celle que je t'ai faite.
Je sais que lorsque tu seras devant la toile, tu mettras tes mains dans ton dos, tu plisseras les yeux comme à chaque fois que tu es surpris et tu souriras. Si, comme je le souhaite, elle est à tes côtés, tu la prendras sous ton bras, vous regarderez à deux cette merveille que nous avons eu le privilège de partager, et peut-être, peut-être te souviendras-tu. Alors, si tel est le cas, à mon tour de te demander quelque chose, tu me le dois bien. Oublie ce que je viens d'écrire, en amitié on ne doit rien. Mais voici néanmoins ma requête :
Dis-lui, dis-lui que quelque part sur cette terre, loin de vous, de votre temps, j'ai arpenté les mêmes rues, ri avec toi autour des mêmes tables, et puisque les pierres demeurent, dis-lui que chacune de celles où nous avons posé nos mains et nos regard contient à jamais une part de notre histoire. Dis-lui, Jonathan, que j'étais ton ami, que tu étais mon frère, peut-être mieux encore puisque nous nous étions choisis, dis-lui que rien n'a jamais pu nous séparer, même votre départ si soudain.
Il ne s'est écoulé aucun jour depuis lors sans que je pense à vous deux, avec l'espoir de votre bonheur à vivre.
Je suis un vieil homme désormais, Jonathan, et l'heure de mon propre départ approche, mais grâce à vous deux, je suis un vieillard au coeur rempli d'une étincelle de lumière qui le rend si léger. J'ai aimé ! Est-ce que tous les hommes peuvent partir riches d'une condition aussi inestimable ?
Quelques lignes encore et tu replieras cette lettre, tu la rangeras silencieusement dans la poche de ta veste, tu croiseras ensuite tes mains dans ton dos et tu souriras, comme moi en t'écrivant ces derniers mots. Moi aussi, je souris, Jonathan, je n'ai jamais cessé de sourire.
Bonne vie, à vous deux.
Ton ami, Peter"  

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1 juillet 2010 4 01 /07 /juillet /2010 08:00

J'ai toujours voulu pénétrer dans les archives du Vatican. Donc, inutile de vous dire que quand j'ai lu les premières lignes de ce livre,  qui était le seul dans le rayon, j'ai immédiatement fait un sprint jusqu'à la caisse pour l'acheter... Bonne lecture.
Mademoiselle

"Mgr Colin Michener entendit à nouveau le bruit et referma son livre. Aucun doute, il y avait quelqu'un d'autre que lui.
Ce n'était pas la première fois.
Il se décala de son pupitre, balaya du regard la vaste bibliothèque dont les haut rayonnages atteignaient le plafond. D'autres étagères se dressaient dans les étroits couloirs qui partaient de chaque côté. La grande pièce avait une aura, une mystique qu'elle devait pour beaucoup à son nom : L'Archivio Segreto Vaticano. Les Archives secrètes du Vatican.
Les volumes rangés là contenaient finalement peu de secrets, et Michener avait toujours trouvé ce nom étrange. Pour l'essentiel, ces fonds représentaient deux millénaires d'expansion religieuse, méticuleusement décrite. Ils témoignaient d'autres époques où les papes étaient aussi des rois, des guerriers, des politiciens, des amants. Tout compris, il y avait là quarante kilomètres d'étagères, riches de nombreux enseignements pour qui savait chercher.
Et Michener n'était pas n'importe quel chercheur. Reportant son attention sur le bruit, il laissa son regard errer le long des fresques de Constantin, de Pépinet de Frédéric II, pour s'arrêter au fond de la pièce sur une grille en fer derrièère laquelle régnait le silance et l'obscurité. On ne pénétrait dans la Riserva que sur autorisation personnelle du pape, et seul l'archiviste-bibliothécaire de nla Sainte Eglise en possédait la clef. Michener n'y était jamais entré lui-même. Il se contentait d'attendre respectueusement à l'extérieur lorsque son supérieur direct et exclusif Clément XV, s'y aventurait. Il connaissait certains des précieux documents entreposés dans cette pièce sans fenêtre. La dernière lettre qu'avait écrite Marie Stuart, reine d'Ecosse, avant d'être décapitée par Elisabeth Ire. Les requêtes de soixante-quinze seigneurs anglais qui avaient demandés au pape d'annuler le premier mariage d'Henri VIII. La confession signée de la main de Galilée. Le traité de Tolentino, imposé par Napoléon aux Etats pontificaux.
Michener examina les pilastres et les barreaux de la grille, surmontés d'une frise dorée qui représentait un feuillage et des animaux. La voûte de pierre, tout autour, datait du XIVe siècle. Rien n'était ordinaire à la Cité du Vatican. Chaque chose portait la marque d'un artiste renommé, d'un artisan de légende, d'hommes qui avaient oeuvré des années durant pour satisfaire Dieu et leur pape.
Michener traversa rapidement la pièce. Le bruit de ses pas se réverbéra dans l'air confiné. Il s'arrêta devant le portail et sentit un courant d'air tiède. La partie droite de la grille était flanquée d'un énorme moraillon. Il s'assura que le solide verrou était bien enclenché. Il l'était.
Se retournant, il pensa qu'un membre du personnel s'était peut-être introduit dans les Archives. A son arrivée, il avait croisé un des scripteurs qui prenait congé. Ensuite, personne n'était autorisé à entrer quand Michener était là : en tant que secrétaire papal, il se passait de baby-sitter. Cependant une multitude de portes permettait d'entrer ou de sortir, et il se demanda si le bruit de tout à l'heure ne provenait pas de quelques gonds vétustes. Ils auraient grincé une seconde avant de retrouver plus discrètement leur position initiale. Difficile à dire. Ici les sons étaient sans doute aussi nombreux et étranges que les manuscrits..."

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24 juin 2010 4 24 /06 /juin /2010 00:00

Passionnée par Oscar Wilde, je ne vous livrerez pas aujourd'hui les premiers mots d'un de ses romans, il s'agit ici d'une histoire "fictive" dont il est le protagoniste. Bonne lecture.
Mademoiselle

" Je m'appelle Robert Sherard et j'étais un ami d'Oscar Wilde. Nous nous sommes rencontrés à Paris en 1883. Il avait vingt-huit ans, moi, vingt et un ; il était déjà célèbre, mon nom ne disait rien à personne. "Ne m'appelez pas "Wilde", me demanda-t-il lors de cette première entrevue. Si nous devenons amis, Robert, pour vous, je serai Oscar. Si nous demeurons des inconnus l'un pour l'autre, vous vous en tiendrez à Mr. Wilde." Nous ne restâmes pas des inconnus. Pas plus que nous ne devînmes des amants. Nous fûmes amis. Et après sa mort, je fus le premier - et le plus respectueux - de ses biographes.
J'ai connu Oscar Wilde et je l'ai aimé. Je n'étais pas à ses côtés dans cette misérable chambre de ce misérable hôtel, quand il est mort. Je n'ai pas eu le réconfort de suivre jusqu'à sa tombe anonyme ce corbillard esseulé dont aucune fleur n'ornait le drap.
Mais, si éloigné que je fusse du lieu de sa mort solitaire quand je l'appris par les journaux, à la découverte du suprême abandon dans lequel l'avaient laissé tous ceux pour qui il avait été si bon, je pris l'engagement de dire tout ce que je savais de lui, de révéler au monde entier qui il était vraiment, et de faire encore en sorte que, par mes écrits, on comprenne un peu mieux quel homme d'un coeur rare, et d'un génie plus rare encore, il avait été. 
J'écris ceci en l'été 1939. Nous sommes le jeudi 31 août. La guerre menace, mais cela m'importe peu. Qui la gagnera, qui la perdra, je m'en moque. Je suis un vieillard désormais, malade qui plus est, et avant de mourir j'ai une histoire à raconter. Je veux compléter les faits, mettre, du mieux que je le peux, une touche finale au portrait. Ma mémoire est comme les forêts de pins dans le sud de la France, parsemées de grandes étendues noires et brûlées. Il y a bien des choses que j'ai oubliées, et bien d'autres dont j'aurais préféré ne pas me souvenir, mais ce que vous allez lire au fil des pages suivantes, j'en certifie la véracité. J'avais promis à Oscar de garder son secret pendant cinquante ans. J'ai tenu parole. Et maintenant le moment est venu pour moi de briser le silence. Enfin, je peux révéler tout ce que je sais au sujet d'Oscar Wilde et du "meurtre aux chandelles". Je le dois, car je m'en souviens. J'étais là, je suis le témoin."

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17 juin 2010 4 17 /06 /juin /2010 08:20

Voici cette semaine un roman que j'ai particulièrement apprécié. A l'époque, ce thriller historico-religieux m'avait transporté. Je vous laisse découvrir le début. Bonne lecture.
Mademoiselle

"La peur se lisait sur le visage des villageois. Regroupés à quelques enjambées de la cabane, ils étaient figés, les yeux rivés sur la masure. Des gouttes de sueur perlaient sur les fronts ravinés. Puis le vieux Giorgio leva le poing et hurla :
- Mort à la sorcière !
- Mort à la sorcière ! reprirent en choeur la vingtaine d'hommes et de femmes qui s'étaient hardiment engagés dans la forêt, déterminés à en finir avec la malédiction. Brandissant fourches et piques, ils se ruèrent vers la maison. La porte fut arrachée à la première poussée. Eclairée par un faible rayon de soleil, la pièce unique se livra à leurs regards en feu. Vide.
- Elle a déguerpi, lâcha avec dépit la veuve Trapponi.
- Y a pas bien longtemps, fit remarquer un jeune homme malingre, le nez penché sur la marmite suspendue au-dessus d'un lit de braises. Regardez, le foyer est allumé et l'eau bien chaude.
- M'étonnerait pas qu'elle soit cachée dans les buissons alentours. Allons la débusquer, reprit le vieux Giorgio.
Pendant deux bonnes heures les villageois fouillèrent les taillis et scrutèrent le sommet des arbres. En vain.
- La bougresse a dû sentir quelque chose et abandonner sa tanière, marmonna le forgeron. Qu'elle aille faire ses diableries ailleurs !
Puis il retourna dans la masure, souffla sur les braises et les répandit dans la cabane en bois. Aidé par un borgne, il brisa l'unique table pour alimenter les flammèches qui dansaient aux quatre coins de la pièce. Le borgne heurta un obstacle qui le fit trébucher.
- Foutrebleu ! Un anneau ! Il y a une trappe sous la table ! hurla le paysan.
Criant et gesticulant, hommes et femmes se rassemblèrent dans la pièce. Ils piétinèrent les flammes et se groupèrent autour de la trappe, fixant l'anneau comme s'il allait leur ouvrir les portes de l'enfer. Car, passé le premier moment de jubilation, l'effroi venait à nouveau figer les souffles et mouiller les tempes. Le forgeron confectionna deux torches. Sans mot dire, il fit signe de soulever la trappe. Un homme se saisit de l'anneau. A l'instant où la porte en bois bascula, le forgeron jeta une torche dans le trou. Tous eurent instinctivement un mouvement de recul. 
Rien ne se passa. Les plus hardis se penchèrent au-dessus du vide. Tombée à moins d'une hauteur d'homme sur la terre battue, la torche éclairait les sept marches d'un petit escalier en bois. On ne distinguait rien d'autre.
- Sors de ton trou, méchante, si tu veux pas finir rôtie, lança Giorgio sur un ton qui se voulait assuré, mais qui trahissait une sourde angoisse.
Pas de réponse.
- Va falloir y aller, reprit le viel homme d'un air beaucoup plus hésitant.
Personne ne bougea.
- Tous des pleutres, hurla la veuve Trapponi. S'il est mort Emilio, c'est bien sa faute à elle.
Elle souleva ses jupons, attrappa la seconde torche et s'engouffra dans la cachette.
Parvenue au bas de l'escalier, elle éclaira le fond de la cavité. Dans le minuscule réduit, un corps immobile, recouvert d'un drap, était allongé sur une paillasse à même le sol humide. La femme s'approcha. Dominant sa terreur, elle fit un pas en avant et tira le linge d'un coup sec.
Elle étouffa un cri, multiplia les signes de croix et remonta précipitamment. Les yeux exorbités, elle s'agrippa à la chemise du forgeron.
- C'est l'oeuvre du diable ! hurla-t-elle."  

Photo DR

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Pour aller plus loin : http://www.fredericlenoir.com/

 

 

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10 juin 2010 4 10 /06 /juin /2010 00:07

Rendez-vous au fil des semaines, l'Incipit du jeudi, revient aujourd'hui avec un polar. Bonne lecture.
Mademoiselle

" Mathilde sortit son agenda et nota : "Le type qui est assis à ma gauche se fout de ma gueule." Elle but une gorgée de bière et jeta un nouveau coup d'oeil à son voisin, un type immense qui pianotait sur la table depuis dix minutes.
Elle ajouta sur son agenda : "Il s'est assis trop près de moi, comme si l'on se connaissait alors que je ne l'ai jamais vu. On ne peut pas raconter grand-chose d'autre sur ce type qui a des lunettes noires. Je suis à la terrasse du Café Saint-Jacques et j'ai commandé un demi-pression. Je le bois. Je me concentre bien sur cette bière. Je ne vois rien de mieux à faire."
Le voisin de Mathilde continuait à pianoter.
- Il se passe quelque chose ? demanda-t-elle.
Mathilde avait la voix grave et très ébréchée. L'homme jugea que c'était une femme, et qu'elle fumait autant qu'elle le pouvait.
- Rien. Pourquoi ? demanda l'homme.
- Je crois que ça m'énerve de vous voir tambouriner sur la table. Tout me crispe aujourd'hui.
Mathilde termina sa bière. C'était fade, typique d'un dimanche. Mathilde avait l'impression de souffrir plus que d'autres de ce mal assez commun qu'elle appelait le mal du septième jour.
- Vous avez environ cinquante ans, je suppose ? demanda l'homme sans s'écarter d'elle.
- Possible dit Mathilde.
Elle fut contrariée. Qu'est-ce-que ça pouvait lui faire à ce type ? A l'instant, elle venait de s'apercevoir que le filet d'eau de la fontaine d'en face, dévié par le vent, mouillait le bras d'un ange sculpté en contrebas, et ça, c'était peut-être des instants d'éternité. Au fond, ce type était en train de lui gâcher le seul instant d'éternité de son septième jour.
Et puis d'ordinaire, on lui donnait dix ans de moins. Elle le lui dit.
- Et alors ? dit l'homme. Je ne sais pas estimer à l'ordinaire des autres. Mais je suppose que vous êtes plutôt belle, ou je me trompe ?
- Il y a quelque chose qui cloche sur mon visage ? Vous n'avez pas l'air très fixé, dit Mathilde.
- Si, dit l'homme, je suppose que vous êtes plutôt belle, mais je ne peux pas le jurer.
- Faites comme vous voulez, dit Mathilde. En tous cas, vous, vous êtes beau, et je peux le jurer si ça peut vous être utile. En réalité, c'est toujours utile. Et puis je vais vous laisser. Au fond, je suis trop crispée aujourd'hui pour avoir envie de parler à des types dans votre genre.
- Je ne suis pas détendu non plus. J'allais voir un appartement à louer et c'était déjà pris. Et vous ?
- J'ai laissé filer quelqu'un à qui je tenais.
- Une amie ?
- Non, une femme que je suivais dans le métro. J'avais pris pas mal de notes et d'un seul coup, je l'ai perdue. Vous voyez ça un peu ?
- Non. Je ne vois rien.
- Vous n'essayez pas, voilà le fond de la chose.
- C'est évident que je n'essaie pas.
- Vous êtes pénible comme homme.
- Oui, je suis pénible. Et en plus je suis aveugle."

Photo DR  

L homme aux cercles bleus[1]

 

 

 

 

 

 

 

 

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3 juin 2010 4 03 /06 /juin /2010 09:07

Fidèle à ma rubrique "L'Incipit du jeudi" je vous propose cette semaine un nouveau début de roman, biographique cette fois. Bonne lecture.
Mademoiselle

"Que faisiez-vous en juin 1903 ? C'est le genre de question que posent toujours les commissaires de police, comme si l'existence réclamait sans cesse des alibis... Le paisible Emile Loubet était président de la République, et la France s'éveillait en se demandant comment serait la journée ou plutôt le siècle. A vingt-trois ans, Guillaume Apollinaire apprenait le métier de flâneur sur la rive droite comme sur la rive gauche, tandis que Léon-Paul Fargue étudiait la "géographie secrète" des arrondissements. C'était de l'"urbanisme sentimental".

Quel temps faisait-il à Bellac ? Jean Giraudoux achevait son service militaire et rêvait à ses prochaines vacances dans sa ville natale. Valery Larbaud faisait de sa jeunesse une promenade et considérait les villes étrangères comme des "résidences secondaires". Paul Morand fréquentait encore le lycée Carnot, et, le soir, au dîner, son père appelait le président "monsieur Emile". A Montparnasse, Jim (je veux dire Henri-Pierre Roché) n'avait pas encore rencontré Jules (je veux dire Franz Hessel), mais cela ne tarderait pas. Ils essaieraient de comprendre le mystère des femmes et tomberaient sous le charme de Marie Laurencin. Le "petit Marcel" (je veux dire Proust) avait entrepris de dépeindre les salons parisiens pour Le Figaro. Jean Cocteau terminait sa quatrième au Petit Condorcet, fasciné par un de ses camarades de classe, "l'élève Dargelos". André Breton n'avait que sept ans et préparait sagement sa carrière de "rêveur définitif" à l'école communale de Pantin, tandis que l'on s'apprêtait à donner le départ du premier tour de France cycliste. Une vraie folie ! De l'autre côté de l'Atlantique, le petit Ernest Hemingway allait déjà à la pêche et à la chasse, avec son père, dans le Michigan...

J'ignore si l'on en tire plus de satisfactions que de désagréments mais, le 18 juin 1903, Raymond Radiguet se contenta de naître avenue du Rocher, à Saint-Maur-des-Fossés, dans la banlieue sud-est. Il vint au monde quatre mois après Georges Simenon et Raymond Queneau, dix jours après Marguerite Yourcenar. Quatre mois et dix jours seulement... Ainsi, "l'éternelle jeunesse" avait le même âge que les vieillards de notre littérature. Raymond Radiguet, mort à vingt ans et demi, était de la même génération que Georges Simenon, Raymond Queneau, Marguerite Yourcenar, qui prirent congé de la planète à quatre-vingt-six ans, soixante-treize ans et quatre-vingt-quatre ans. Cela étonne et laisse rêveur. Essayez d'imaginer un dîner réunissant le commissaire Maigret, Zazie et le comte d'Orgel... Mais c'est peut-être la date du trépas qui détermine les générations plus que la date de la naissance. Quand êtes-vous mort ? C'est la question qu'il faudrait poser.

En 1952, dans "Le Passé infini", Jean Cocteau refusait de se représenter le visage qu'aurait eu Radiguet à l'approche de la cinquantaine, car "la mort arrête les aiguilles de la pendule et nous fixe les êtres à la minute où nous les avons perdus"... "Raymond aurait cinquante ans, ajoutait Cocteau. Mais c'est son visage de vingt ans que j'interroge, qui me hante et me conseille encore avec ce mélange qu'il formait d'élève indocile et de sage chinois."" 

9782080668226[1]

 

 

 

 

 

 

PS : J'oubliais, c'est mon 100e post !!!

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27 mai 2010 4 27 /05 /mai /2010 10:25

En ce jour un peu particulier qu'est mon anniversaire, j'inaugure un nouveau rendez-vous : "L'Incipit du jeudi". Tous les jeudis, je vous ferai donc partager le début de mes romans préférés ou non. En règle générale, trois éléments guide mes choix de lecture, hors critiques lues dans la presse ou sur Internet, dans l'ordre : le titre, le texte en 4e de couverture et l'Incipit. Si les premières pages me plaisent, c'est gagné mais il m'arrive encore de me tromper... Peu importe, ça fait aussi partie du jeu, non ? Assez attendu, je vous souhaite une bonne lecture.
Mademoiselle

"Il neige sur Édimbourg en ce 16 avril 1874. Un froid de canard paranormal cadenasse la ville. Les vieux spéculent, il pourrait s'agir du jour le plus froid du monde. A croire que le soleil a disparu pour toujours. Le vent est coupant, les flocons plus légers que l'air. Blanc ! Blanc ! Blanc ! Explosion sourde. On ne voit plus que çà. Les maisons font penser à des locomotives à vapeur, la fumée grisâtre qu'exhalent leurs cheminées fait pétiller un ciel d'acier.

Édimbourg et ses rues escarpées se métamorphosent. Les fontaines se changent une à une en bouquets de glace. L'ancienne rivière, habituellement si sérieuse dans son rôle de rivière, s'est déguisée en lac de sucre à glace qui s'étend jusqu'à la mer. Le fracas du ressac sonne comme des vitres brisées. Le givre fait des merveilles en pailletant le corps des chats. Les arbres ressemblent à de grosses fées en chemise de nuit blanche qui étirent leurs branches, bâillent à la lune et regardent les calèches déraper sur une patinoire de pavés. Le froid est tel que les oiseaux gèlent en plein vol avant de s'écraser au sol. Le bruit qu'ils font dans leur chute est incroyablement doux pour un bruit de mort. C'est le jour le plus froid du monde. C'est aujourd'hui que je m'apprête à naître."

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