Cette semaine, à l'occasion de la rentrée littéraire, Les petits papiers de Mademoiselle, accueillent chaque jour un auteur publiant son premier roman. La série "Première rentrée littéraire" se termine aujourd'hui avec Natacha Boussaa. Née à Paris, dans le quartier République, enfant elle regarde passer les grandes manifestations. Dans l’ambiance remuante du restaurant familial, elle commence à écrire. Quelques années plus tard, après un DEA de lettres modernes, une Licence de cinéma et une formation d’art dramatique, Natacha devient comédienne, principalement au théâtre, la passion de l'écriture est toujours là. Son premier roman, Il vous faudra nous tuer est paru fin août aux éditions Denoël.
Votre roman Il vous faudra nous tuer, a pour cadre les manifestations de 2006 contre le CPE, pourquoi avoir choisi ce thème ?
Tout d’abord, parce qu’il me semblait intéressant de rappeler aujourd’hui qu’un mouvement social très récent en France était parvenu à faire reculer un gouvernement. Au plus fort de ces manifestations, trois millions de personnes étaient dans la rue et il ne s’agissait pas uniquement de lycéens ou d’étudiants, mais bien d’un mouvement plus vaste, regroupant mécontents et salariés. C’est aussi un mouvement qui a vu la radicalisation d’une partie de la jeunesse. L’année qui a suivi ces manifestations parfois très violentes, certains membres du gouvernement et la presse ont commencé à populariser le terme « ultra-gauche », terme désignant en partie un fantasme, en partie une réalité : la radicalisation de certains jeunes à la suite de ces manifestations. Ce qui m’intéressait aussi dans ce mouvement, c’est qu’il est emblématique de ce qui se passe partout en Europe (notamment en Grèce et en Italie) où les tensions entre les peuples qui refusent de voir leur monde changer et les gouvernements qui appellent à un monde nouveau, plus flexible, n’ont jamais été si vives. Enfin, je souhaitais écrire un livre sur une certaine jeunesse des classes moyennes, décrire leur façon de vivre, leur rapport à la société. Elles ont reçu une éducation qui leur permet de porter un regard critique sur la société, mais n’ont pas les moyens matériels de le mettre à l’œuvre. Elles incarnent une force politique qui s’ignore. Le roman décrit un climat pré révolutionnaire. Il y avait, enfin, un dernier enjeu littéraire : écrire un roman historique sur des événements très récents.
Que pensez-vous de la jeunesse actuelle ?
Je suis frappée par notre aptitude à être si raisonnables, pragmatiques. Nous sommes nés dans la crise, nous n’avons jamais connu que cela. Les générations précédentes nous ont inculqués que le rêve, par la faute de conditions économiques de plus en plus dégradées, nous était interdit. Ce livre est aussi une invitation à reconquérir le droit à l’imagination. Car sans elle, on ne peut pas se mêler des affaires de la cité, on ne peut pas imaginer autre chose que le monde qui existe déjà. Imaginer, c’est déjà reprendre le pouvoir. Se montrer « raisonnables » nous empêche de penser autrement la société, mais aussi nous-mêmes. C’est ainsi que nous sommes rendus corvéables ou désespérés. Dans cet espace étriqué, repliés encore un peu plus sur nous-mêmes, nous faisons ce que ses aînés attendent de nous : nous renonçons au génie de nous inventer et donc d’inventer l’avenir.
Votre titre est issu des Mémoires d’outre-tombe, quelles sont vos influences littéraires ?
J’ai une grande admiration pour Chateaubriand dont j’aime infiniment la langue. J’aime particulièrement la littérature du XIXème et de la première moitié du XXe. Je trouve cette période passionnante, en France et en Europe. J’aime aussi beaucoup la "Beat Génération". Et je lis enfin beaucoup de littérature contemporaine : je suis très curieuse de mon époque, j’aime me heurter à l’image que la littérature nous renvoie de nous-mêmes.
Racontez-nous comment votre manuscrit a été repéré ?
Le manuscrit précédent que j’avais envoyé avait attiré l’attention de plusieurs éditeurs (Flammarion, Grasset, L’infini et Verticales). Ils m’avaient donné des conseils, expliqué pourquoi ils ne prenaient pas ce texte-là. Lorsque j’ai terminé Il vous faudra nous tuer, je l’ai envoyé à ces mêmes éditeurs, ainsi qu’à quelques autres, car je n’étais pas bien sûre que les premiers s’y intéresseraient. Finalement, c’est Juliette Joste qui était alors éditrice chez Flammarion, et qui quittait Flammarion à ce moment-là, qui l’a pris sous son aile. Elle m’a donné des conseils pour en retravailler certains aspects encore un peu trop bruts. Et c’est en sa qualité d’éditrice free-lance qu’elle l’a proposé à plusieurs maisons d’édition. Olivier Rubinstein et Philippe Garnier chez Denoël l’ont rappelée très vite. En une semaine, tout était décidé. On peut parvenir à publier un texte lorsque l’on ne connaît personne, mais il faut absolument persévérer. Il faut savoir que l’on ne publiera pas forcément son premier texte, mais peut-être son dixième et qu’il faut s’accrocher, travailler. À partir du moment où un éditeur repère un de vos textes, il est plus vigilant à ce que vous lui envoyez la fois suivante.
Comment vivez-vous votre première rentrée littéraire ?
Comme une succession de premières fois. On ne se représente pas tout ce qui se passe après la parution, les différentes étapes. À présent, la nouvelle étape, c’est la rencontre avec les lecteurs. Je discute avec quelques lecteurs via les mails qu’ils m’envoient ou bien sur Rue 89 sur lequel je raconte ma première rentrée littéraire. Mais les premiers salons et séances de dédicaces arrivent, et je vais pouvoir rencontrer les lecteurs en vrai. J’attends ce moment avec une grande joie.
Trouvez-vous encore le temps d'écrire en ce moment ?
J’ai très peu de temps pour écrire en ce moment. Mais cela ne va pas durer. La rentrée va passer et tout rentrera dans l’ordre. J’ai sur le feu une pièce de théâtre qui ne me demande plus que quelques corrections et j’ai commencé l’écriture d’un nouveau roman. Mais tant que qu’un projet n’est pas achevé, il est difficile d’en parler. On ne sait jamais - et c’est ce qui est passionnant avec l’écriture - si l’on arrivera au bout de ce qu’on est en train d’écrire, si l’on ne va pas tout jeter à la corbeille, repartir sur autre chose. C’est ce qui me plait avec l’écriture : ne jamais avoir de certitudes, être sur le fil.
Merci Natacha.
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